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Le butin

Ce texte a été proposé dans le cadre du défi des plumes pour Halloween 2022 du discord Scriptopia

Opale fit tournoyer son couteau. Comme d’habitude, elle devait l’attendre. C’était toujours comme ça, de toute manière. Il l’appelait, elle devait débarquer illico et lui, il était en retard. La jeune fille grelotta sous la brise insidieuse qui s’infiltrait sous sa courte veste de jean’s. Elle n’avait pas prévu de rester 10 ans dans le froid. Une nuit d’octobre, dans une ruelle louche, sérieusement ? Il n’aurait pas pu trouver un autre lieu de rendez-vous ? Comme le centre commercial ?

Un craquement fit sursauter la jeune fille. Elle empoigna son arme, tandis que son regard faisait le tour de la ruelle sordide et de ses poubelles débordant d’ordures. Rien. Peut-être un chat ou un rat. Un bruit la poussa à se retourner d’un bond, lame en avant. Elle aurait juré qu’on courait derrière elle. Mais cette fois encore, rien.

— C’est pas drôle, allez, sors de là ! cria-t-elle au vide.

Peut-être était-ce un chat, le vent, peut-être était-ce son imagination aussi. Mais peut-être aussi que c’était quelqu’un qui en voulait à son butin. Elle n’avait parlé à personne de sa rencontre avec le Chef, mais les oreilles traînaient souvent dans les bas-fonds de la ville, alors il était possible qu’elle ait été repérée. Suivie même.

Opale réfléchit. Elle glissa une main dans sa poche. Le sac de diamant y était toujours. À son cou, elle sentait la rivière de diamant et l’énorme saphir. Sans un regard à la ruelle sombre où les bruits se faisaient toujours entendre, plus pressants, plus crissants et bien plus proche. Elle s’adossa au bâtiment, cherchant d’une main le bouton de la porte.

Elle le tourna, toujours face à la ruelle. Cette fois-ci, du coin de l’œil, elle avait vu quelque chose. Une petite silhouette noire, plus rapide que tout ce qu’elle avait pu voir. D’un geste brusque, la voleuse entra dans le bâtiment et s’appuya contre la porte, le cœur battant à tout rompre. Essoufflée de terreur, elle peinait à retrouver son calme.

Elle avait cru que dehors c’était le pire. Elle avait eu peur de ses rivaux. Mais maintenant qu’elle était à l’intérieur, elle n’était plus très sûre d’elle. La seule lumière qui lui permettait de ne pas être dans le noir total, c’était la lampe de sortie de secours, une loupiotte rouge qui jetait sur le couloir une aura inquiétante. Et les bruits bizarres avaient cessé, oui, mais ils avaient été remplacés par une mélodie à la harpe. Légère, elle flottait au-dessus de la tête de la jeune fille, qui resserra sa prise sur son couteau. Qui osait lui faire une telle blague ? Un soir d’Halloween, venir jouer de la harpe dans un vieux resto abandonné ?

Elle fit quelques mètres d’un pas prudent et se retourna en un sursaut. Elle était sûre que quelqu’un était passé derrière elle à toute vitesse, elle sentait encore les poils de sa nuque se hérisser dans le mouvement d’air. Mais la pièce qu’elle venait de dépasser était fermée, aucune porte de l’autre côté, et la sortie de secours était toujours fermée. Un frisson la parcourut, mais elle continua son avancée. Son butin lui apportait le côté rassurant de son poids, un peu comme un grigri.

— Allez, Adam ! C’est pas drôle ! Montre-toi maintenant !

Elle avança encore, toujours vers la musique. C’était pas comme si elle avait le choix de toute façon, elle était obligée de parcourir ce foutu couloir, la seule autre sortie, celle qui menait à une rue passante où elle pourrait se fondre dans la foule se trouvait de l’autre côté.

Opale avançait toujours à pas prudents. Le sol, jonché de détritus craquait sous ses pieds, malgré ses précautions.

— Dépêche-toi, petite fille, Il t’attend.

Un cri échappa à la jeune fille. La voix de femme, éthérée, avait susurré à son oreille. D’un geste vif, elle se retourna encore une fois, pour se trouver face au vide cette fois encore. Elle ébouriffa ses courts cheveux nerveusement. Elle sentait encore le souffle dérangeant sur son oreille. Son cœur s’emballait comme un oiseau en cage.

— Mais c’est quoi ce bordel ? pesta-t-elle.

La lumière clignota, la plongeant à intervalles réguliers dans le noir. Quand est-ce qu’elle arriverait enfin dans la salle de ce fichu restaurant ? Dans ses souvenirs, le couloir était moins long !

Un fracas sur sa gauche la fit sursauter. Le coup de vent, comme si quelqu’un était passé en courant près d’elle se manifesta à nouveau. Ses poils se dressèrent dans sa nuque.

— Allez, Adam, c’est plus dôle maintenant !

Le saphir à son coup se fit plus lourde, tandis que la musique se faisait envoûtante, cajolante et plus forte, aussi.

— Je me casse, j’en ai marre !

Opale se retourna, prête à faire demi-tour. Mais la vision fugace d’une femme aux longs cheveux noirs et un visage sans chair ni peau, juste les os, la fit reculer et chuter sur le sol. Un rire s’éleva autour d’elle et la voix vint lui murmurer à l’oreille des paroles que la voleuse ne comprit pas.

— Ok, j’avance, capitula-t-elle, la voix faible et tremblotante.

Les jambes flageolantes, elle se releva. Une lumière clignotait au fond, mais cette fois-ci, ce n’était pas la loupiote incendie, qui s’était éteinte pour de bon.

— Les chiottes, sérieux ?

Opale prit une grande inspiration et ferma les yeux un instant. Elle devait y aller. Mais vraiment, les toilettes d’un lieu désaffecté ? On faisait pas plus glauque.

D’un pas rapide, elle se dirigea vers la pièce clignotante. Elle dépassa la cuisine, où elle saisit, du coin de l’œil, un mouvement fugace. Mais, tête haute, la jeune fille refusa de céder à la peur. Elle arriva dans large pièce, qui accueillait désormais un fouillis de tables et de chaises. La devanture avait été condamnée à l’aide de planches clouées, mais par les interstices, elle voyait la lueur rassurante de la ville, les lumières rouges des phares arrière des voitures, celle, chaude, des lampadaires. Mais la lumière se fit frénétique. Hors de question pour elle de franchir cette porte salvatrice, d’entendre sa clochette de la délivrance.

— Adam ? J’arrive…

Incertaine, elle bifurqua sur la droite, avec la désagréable impression d’être observée. Enfin, elle arriva sur le seuil de la longue pièce. 5 portes s’ouvraient à sa gauche, laissant paraître les cuvettes vides et parfois couchées au sol. Son regard évitait soigneusement le miroir à sa droite d’où venait la musique. Une seule ampoule resta allumée.

Un mouvement attira son regard du côté du miroir, mais la vision terrifiante qui lui faisait face s’imposa à elle une fraction de seconde avant que ses yeux se ferment, s’imprimant sur sa rétine. Opale recula précipitamment, trébuchant sur des morceaux de carrelage avec un cri d’effroi.

— Fais chier !!

La rage dans la gorge, les larmes au coin des yeux, elle ouvrit les yeux sur sa main présentant une longue estafilade.

— Ah enfin, tu es là.

La voix fluette lui lever les yeux. C’était celle du Chef. Instinctivement, elle chercha son couteau, mais il avait dû lui échapper dans le couloir. Elle ne l’avait pas rangé et ses mains étaient vides. Se présenter à lui sans arme, c’était du suicide, elle savait de quoi il était capable. Enfin. Elle pensait le savoir. Depuis quand il lui faisait des coups pareils, à la faire mourir de peur ?

— Oh, Adam, c’est toi, murmura-t-elle en se relevant.

Le garçon auquel elle faisait face, assis sur les lavabos, était d’une blondeur de soleil, un regard limpide et un sourire candide. On lui aurait donné le Bon Dieu sans confession, si ce n’était l’éclaboussure rouge qui ourlait sa manche droite et le long couteau avec lequel il jouait.

— Tu savais très bien que c’était moi, chère Opale, roucoula-t-il.

— Pourquoi cette mise en scène, Chef ? On avait rendez-vous dans la rue, non ?

— C’est Halloween aujourd’hui, je ne peux pas me montrer sous mon vrai jour à l’extérieur, voyons. L’humanité est pourrie jusqu’à la moelle, mais elle ne mérite de brûler immédiatement, voyons !

Une ombre grandissait derrière lui, malgré la lumière qui éclairait directement son visage angélique. Elle présentait sa silhouette augmentée de pattes et d’une paire d’ailes énormes.

Au sol, entre lui et moi, trois autres ombres grandissaient. Une grande femme aux doigts crochus, une créature à plusieurs têtes et une autre, aussi changeante qu’inquiétante.

Opale déglutit.

— Et… moi, je le mérite, alors ? Pourquoi ? Et c’est quoi tout ça d’ailleurs ? T’es qui, en vrai ?

— Pourquoi ? Donne-moi le butin du casse de ce soir.

La jeune fille glissa une main dans sa poche et lança le sac de diamant au garçonnet. Elle décrocha la rivière de diamants, qui suivit le même chemin.

Adam fut secoué par un éclat de rire, qui étira sa bouche plus qu’il n’aurait dû et reprit en écho par les ombres au sol, desquelles Opale restait loin.

— Tu vois, c’est exactement pour ça que toi, tu mérites de brûler ce soir.

— Mais Adam… !

Mais Opale n’eut pas le temps de finir sa phrase. Le saphir à son cou se faisait lourde et pulsait sous son chemisier. Elle peinait à résister à la traction que le bijou exerçait sur elle, la tirant inexorablement vers Adam.

— Mon saphir, la clé du monde infernal que je cherche depuis des décennies pour quitter ce monde de créatures faibles et viles, tu oses me la dissimuler, me la voler, comme la pie que tu es !

— Adam, attends, je peux t’expliquer… C’est pas ma faute, elle m’appelle, elle veut être mienne !

— C’est là que tu te trompes, Opale chérie, fit l’enfant. Elle te veut, elle veut te dévorer, mais elle veut être mienne !

L’instant d’après, le joyau était dans la main d’Adam et Opale à quelques centimètres de son visage.

Alors l’enfant changea. Au contact de la pierre précieuse, il grandit, devint homme sous les yeux ébahis de la voleuse. Elle voulut reculer, mais il la retint par le menton.

— Mais qui es-tu à la fin ? demanda-t-elle dans un couinement de souris en tentant de se détacher.

L’homme posa son pouce sur le front de la jeune fille et, avec un sourire carnassier, lui répondit d’une voix profonde, tandis que la douleur s’insinuait en elle et parcourait ses veines et brûlant tout sur son passage.

— Je suis Lucifer, Prince des Enfers et tu viens de m’offrir le Monde.

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